LITTÉRATURE
Il y a dans le dénouement (après le climax) de tout film quelque chose que le spectateur non-averti ne s’explique pas toujours.
C’est une petite chose intrinsèque et née de la narration que le personnage principal d’un film acquiert à la suite d’une quête,
d’un parcours accompli. Cette petite chose donc, qu’on nomme l’élixir peut-être la maîtrise d’un savoir, la possession d’un objet
(généralement représentée sous la forme d’un MacGuffin), ou encore le dépassement d’une situation de crise d’une ou
de plusieurs personnes dans une intrigue quelconque.
Et suite aux multiples travaux ayant vu le jour sur la bonne construction et le bon cheminement d’une quête
initiatique (littérature, cinéma, etc…), l’élixir marque de sa présence comme une fonction vitale d’une narration étalée en sept,
douze ou vingt-deux étapes – si besoin est – dans n’importe quel récit où un(e) héros/héroïne va évoluer pour accomplir
une quête et se découvrir pleinement. Un processus évolutif qui trouve son point de départ dans un appel à l’aventure,
où un incident déclencheur va pousser le/la protagoniste que l’on suit à se mettre en mouvement en laissant son monde
ordinaire pour aller se mesurer aux aléas du vaste monde.
Quant le film te fume...
BWAAAAA !!!!
Certes pas toujours évident pour le non initié. Néanmoins, il est tout à fait possible de se rendre compte de
la justesse d’un bon travail narratif d’un film et de toute la symbolique qui l’accompagne lorsqu’il atteint
son climax et que l’épilogue pointe son nez en amenant l’élixir auquel notre protagoniste a finalement droit.
Une illustration de cette démarche est facilement identifiable dans le troisième acte du pas très soporifique
remake Insomnia de Christopher Nolan, où le personnage campé par Al Pacino, en mourant, accède au saint-graal
car il peut enfin dormir. Parce qu’en ayant passé tout le film à nous faire comprendre que son personnage
est en perte de repères dans les décors brumeux de son univers intradiégétique, que ce soit dans ce
qu’il fait ou dans la teneur des conséquences qui en résultent ; c’est par la mise en scène que
le réalisateur d’Interstellar entre autres choses a eu l’intelligence de donner à son personnage
ce qu’il convoitait en le faisant aller à la mort comme ce somnambule qu’il est, Nolan lui,
fit comprendre que même dormir est quelque chose qui se mérite.
Un bon petit 3.5 sur Letterboxd pas du tout volé !
Vous voyez un palindrome. vous?
AVEC OU SANS STRUCTURE ?
Ceci étant dit, commençons. Dans un tout autre registre narratif, Agwe, scénarisé par Samuel Suffren
(on suppose car ce n’est pas mentionné au générique de fin), et qui se présente comme une QUÊTE,
est un film qui se prend les pieds dans le tapis de sa narration (Coucou Freda !).
Expliquons ceci en disant que s’il est toujours de bonne facture que toute dilution de la fonction
sujet dans un film puisse être une bonne chose tant elle ouvre la voie à une multitude de possibilités
dans la construction de n’importe quelle autre trame narrative subsidiaire, elle n’en demeure pas moins
son talon d’Achille si aucune transition scénaristique majeure n’est faite au cours de ce même film pour
faire comprendre au spectateur qu’il suit un(e) autre protagoniste, un autre parcours ;
avec si possible d’autres motivations jumelées à la trame principale et où la progression
dramatique continue d’évoluer de façon linéaire jusqu’à son climax (allez, vous le voyez déjà venir),
jusqu’à atteindre l’élixir tel que décrit dans le monomythe de Campbell. Et ce ne sont pas les personnages
de PSYCHOSE d’Alfred Hitchcock qui nous diront le contraire.
Ta Tête quand le DP t’annonce que la nuit américaine que tu viens de faire est ratée !
TRANSITION ! Dans ce court-métrage disponible en accès limité sur Dailymotion (entendez par là qu’il faut être dans de petits papiers pour voir ce film), la progression dramatique des personnages que nous suivons (leurs évolutions psychologiques, en gros) est tellement mal amenée, tellement mal agencée à la structure globale de l’histoire que le tout est capable de provoquer chez le spectateur lambda une aversion doublée d’un sentiment de rejet total de l’œuvre quant au pourquoi du comment de ce parcours accompli par les protagonistes de ce film. Car au demeurant, le scénario d’Agwe (s’il en est un, écrit) n’arrive pas à être assez intelligent pour élaguer l’épineuse question des boat people. Un sujet très présent et presque intemporel dans l’imaginaire collectif de tout haïtien digne de ce nom. Mais chez Agwe, c’est traité avec la même considération qu’un Dewey qui ne s’attendait à rien et qui est quand même déçu par ce mode d’exécution réalisé avec les pieds, le manque évident de traitement infligé à une telle thématique de l’ailleurs qui n’est pas sans rappeler les pires poncifs du genre. Par corollaire, l’absence de finesse de ce banal univers intradiégétique dont cette fiction a planté son décor sonne de but en blanc comme un foreshadowing foireux dès les tous premiers instants du récit par l’introduction ipso facto d’une voix off qui n’est là que pour rappeler une fausse esthétique de documentaire déjà présente dans la fast carrière du réalisateur qui, comme à chaque fois, sort de nulle part en frôlant l’indécence et traitée pareille à un mouchoir usagé d’ado priapique car la résolution finale quant à elle n’apporte rien de concluant quant à la véracité du principe d’un fusil de Tchekhov (set up/pay off ou préparation/paiement) qui veut à la manière d’un petit poucet que des petits bouts de pains soient disséminés ici et là pour la suite des évènements à venir dans la suite du récit. Ce faisant, l’histoire qui se déroule sous nos yeux n’est rien de tel qu’un gloubi-boulga de scènes montées à la va-comme-je-te-pousse dont l’incohérence disparate et narrative ne permet sous quelque forme que ce soit de lier le début , le milieu et la fin du film. (Re-coucou Fréda !)
Find the error
VOUS VOULEZ UN VERRE ?
Il faut dire que tout comme dans les fameux cas d’école de la vie artistique haïtienne où celui/celle qui mène
la danse souffre d’un cancer de rythme, Agwe n’échappe pas à la règle parce que d’entrée de jeu,
le film se passe au préalable de toute nécessité d’une bonne mise en scène juste et équilibrée pour au final
délivrer un récit indigeste au vu de son intrigue qui sonne faux. Des enjeux bâclés. Bridés.
Un si bon sujet traité avec le même respect qu’une douzaine de personnes qui auraient éternué simultanément
leur cerveau et totalement délaissé par un jeu d’acteurs en pilotage automatique.
Et si dans une moindre mesure, la bande son à retour haptique de ce monstre sacré de la musique,
Érol Josué, arrive à saisir le néant qui émane de ce récit comme une pure fuite en avant,
il reste tout de même fascinant d’observer que, jumelée au résultat final de cette gradation permanente
visant des repères similis à un renard ruisselant de créatine invité par erreur dans le poulailler ;
l’histoire que raconte Agwe s’échine à ne pas construire de la manière la plus appliquée qui soit
ce bon récit à plusieurs voix qu’il est censé être mais part se vautrer dans des clichés en rafale,
d’une relecture arthritique qui compile les pires errements poncifs du genre et masque mal
la précipitation qui a présidé à la fabrication de ce film, ainsi que son manque flagrant de finition.
Brittany ma chérie, ne regarde pas la caméra !
QUOI ? ENCORE UN AUTRE ?
Dès l’introduction, le ver est dans le fruit, et s’y complaît goulûment.
Une évidence se cache dès les tous premiers photogrammes imprimés sur la lentille numérique qui auront de quoi pour susciter de l’intérêt chez certains tant ils renvoient une certaine idée d’évasion qu’affectionne particulièrement tout jeune cinéaste débutant dans le métier. Mais à l’instar de ce très beau plan (quoique mal fagoté) au troisième tiers du film, ou encore par l’évidente dualité de l’homme face à la dangerosité d’une nature à dompter pour les besoins de sa cause ; la trame narrative d’Agwe - en dépit du bon sens - s’enlise dans un niveau de métastase inédit, possiblement hilarant et devient un odieux fardeau d’une caméra portée épileptique, joyeusement azimuté par un surdécoupage inepte, d’un faux ratio de cadre de 1 ;33.1 obtenu par trucage en post-prod, résurgence de la mode actuelle des vidéos clips au lieu d’évoquer avec grâce les débuts du cinéma tout court avec notamment les premiers films muets ou encore plus proche de nous, les délicieuses expérimentations d’un Xavier Dolan tout fringant, pour ne citer que ce dernier.
De cet opportunisme décomplexé et abscons dans une dramaturgie tiraillée à la manière d’un salmigondis
ne sachant pas quelle échelle choisir pour narrer une histoire où les scories ne seraient pas symptômes d’une écriture réalisée
par un adolescent qui aurait trop sniffé de Biactol, en résulte une diégèse qui crie à l’effroi en s’effondrant sur elle-même
par manque de créativité (?) au regard de la facilité déconcertante et inhérente de cette société liquide, pour in fine ;
dans une ultime tentative désespérée de conjurer son propre sort en ne devenant pas un bon film mais plutôt un ersatz
à ramasser des prix (douteux ?), le scénario d’Agwe s’étire au tant que faire se peut,
jusqu’à chercher son point de rupture pour se rappeler à lui-même, à ceux qui auraient le courage de se l’avouer,
mais surtout aux auteurs de (…), qu’il est bon temps qu’ils assimilent : « Il existe quelques règles de mise scène dans
le cinéma tout comme il existe des règles de grammaire. Connaître la grammaire ne fait pas de vous un Victor Hugo,
le même raisonnement vaut pour le cinéma». Car, on ne commet pas un film. Ô grand non, monsieur. On le fabrique !
Mais pourquoi tout l’monde me colle des gosses qui ne servent à rien, moi !?
À fortiori, l’amateurisme du cinéma haïtien nous a depuis son début apporté quelques productions qui ne font pas toujours bonne figure en matière de qualité, à en juger surtout par un manque crucial d’expression d’une vraie vision unique qui aurait peut-être pu les élever au statut d’œuvres d’art, concomitamment d’un bon traitement de leurs choix de thématiques pour les empêcher de disparaitre dans le temps comme des larmes dans la pluie. Et c’est tellement dommage que Les enfants de la société liquide, comme pour reprendre Zygmunt Bauman, aussi fougueux qu’ils soient, n’arrivent pas à pousser le rêve plus loin que le pays des merveilles.
Gaël Jean-Baptiste
Petit glossaire, au cas où …
(en fait c'est une reco d'une pote)
Dénoument :
Le moment où l’intrigue se résout.
Climax :Ou nœud dramatique, est le point le plus puissant du récit qui se produit vers la fin de l’histoire.
Élixir :Au cinéma, c’est un sentiment d’accomplissement ressenti après un parcours psychologique, émotionnel et spatio-temporel réalisé par un personnage.
MacGuffin :Dispositif d’intrigue qui sert de catalyseur à l’action d’une histoire. Il peut s’agir d’un but, d’une personne, d’un objet ou d’une idée que les personnages poursuivent, et cela doit généralement être révélé dès le premier acte.
Quête initiatique :Un voyage dans lequel une personne se trouve confrontée à des épreuves, aux nouvelles expériences qui lui permettent de passer à l'âge adulte. Ce thème a été utilisé de façon récurrente, notamment dans la littérature, la peinture et le cinéma.
Letterboxd :Service de catalogage social en ligne axée sur le partage d'opinions sur et l'amour du cinéma qui permet aux utilisateurs de partager leurs goûts en matière de films. Les membres peuvent rédiger des critiques ou partager leurs opinions sur les films, suivre ce qu'ils ont vu dans le passé, enregistrer les dates de visionnage, dresser des listes de films et présenter leurs films préférés, ainsi que rencontrer et interagir avec d'autres cinéphiles . Les films peuvent être notés, examinés, ajoutés à l'entrée du journal d'une date spécifique, inclus dans une liste et étiquetés avec des mots-clés pertinents.
Quête :Action de chercher à trouver, à découvrir.
Appel à l’aventure :Première étape qui marque le début du voyage du héros.
Incident déclencheur :Ou Élément déclencheur/perturbateur, est dans un film, la suite de la situation initiale et qui engendre les péripéties.
Protagoniste :Du drame grec ancien et signifiait à l’origine « le joueur de la première partie ou l’acteur principal ». Mais au cinéma, c’est le personnage qui dirige l’intrigue du film, qui poursuit l’objectif principal de l’histoire et change ou grandit généralement au cours du film.
Épilogue :Scène qui se déroule après le point culminant d’une histoire.
Intradiégétique :Qui se trouve à l’intérieur de la narration.
Dilution de la fonction sujet :changement plus ou moins brusque de point de vue, allant du personnage principal à un autre.
Terme utilisé dans le domaine de la narration pour décrire la cohésion du schéma narratif qui lui-même correspond à l'ensemble des étapes qui structurent une séquence narrative.
Transition scénaristique :Transition apportée dans la mise en scène par le scénario.
Progression dramatique :Ou La loi de progression continue au cinéma est le produit d’une tension dramatique conçue pour se développer en croissant jusqu’au climax. Le climax est le point culminant (en émotion, en drame, en intensité) de sa progression.
Monomythe de Campbell :Structure en douze étapes théorisé par le mythologue américain Joseph Campbell dans son livre « Le Héros aux mille et un visages » paru en 1949, dans lequel il présente les principaux mythes présents à travers le monde, et qui ont survécu à des milliers d'années, partagent la même structure fondamentale, qu'il nomme monomythe. Dans l'introduction du livre, Campbell résume le monomythe en une citation devenue célèbre : « Un héros s'aventure à quitter le monde du quotidien pour un territoire aux prodiges surnaturels : il y rencontre des forces fabuleuses et y remporte une victoire décisive. Le héros revient de cette mystérieuse aventure avec la faculté de conférer des pouvoirs à son prochain. »
Dailymotion :Plateforme technologique française de partage de vidéos appartenant à Vivendi.
Parcours accompli :Au cinéma, c’est le cheminement psychologique, émotionnel et spatio-temporel réaliser par un personnage.
Boat people :Migrant clandestin qui s’enfuit sur des embarcations de fortune.
Dewey :Personnage de fiction de la sitcom Malcom and the Middle, interprété par Erik Per Sullivan.
Foreshadowing ou Préfiguration :Dispositif narratif dans lequel des suggestions ou des avertissements concernant des événements à venir sont abandonnés ou plantés.
Esthétique de documentaire :Qui vient du traitement de documentaire.
Fusil de Tchekhov (Set up/pay off ou préparation/paiement) :Principe narratif qui stipule que chaque élément d'une histoire doit être nécessaire et que les éléments non pertinents doivent être supprimés.
Gloubi-boulga :Mélange infâme.
À la va-comme-je-te-pousse :Fait rapidement et sans réflexion appropriée
À retour haptique :Avec vibrations.
Photogramme :En technique cinématographique, il signifie la plus petite unité de prise de vue, l'image indivisible dont la succession, vingt-quatre fois par seconde, crée la continuité filmique.
Surdécoupage :Action de surdécouper une scène.
Ratio de cadre :Rapport de cadre entre la largeur et la hauteur d'un photogramme ou d'un écran.
Post-prod :Travail produit après le tournage d’un film, par exemple le montage (décider de ce qui sera retiré et de ce qui sera conservé.
Salmigondis :Mélange disparate et incohérent.
Société liquide :Concept inventé par le sociologue et philosophe polonais Zygmunt Bauman pour décrire les comportements des sociétés ultra individuelles, dominées par la consommation, la fragilité des liens et l’impermanence…
Ersatz :Succédané, « sous-équivalent », souvent considéré de moindre qualité, d'un système ou d'un produit considéré. Il s'agit d'un substitut parfois peu, voire pas du tout, efficace ou d'un sujet dénaturé peu convaincant.
Les enfants de la vie liquide :Œuvre ultime, du sociologue Zygmunt Bauman, écrit à quatre mains avec Thomas Leoncini, paru aux éditions Fayard, en 2018 dans lequel notre ère postmoderne a vu l’avènement d’une « société liquide », où la communauté cède le pas à l’individualisme, le changement est la seule chose permanente et l’incertitude la seule certitude. Ce dialogue avec ce jeune journaliste italien porte sur la complexe réalité des générations nées après les années 1980 dans une société liquide. Abordant la transformation du corps, les tatouages, la chirurgie esthétique, les hipsters, les dynamiques de l’agressivité (et en particulier le phénomène du harcèlement), le web, les transformations sexuelles et amoureuses, l’auteur explique cette société en s’adressant à tous, et nous interroge sur nos rapports intergénérationnels.
27/10/2023
COPYRIGHT L'avant-gardiste @ 2024. Tous droits réservés