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Une lecture de la violence/guerre, avec comme cadre la restitution de l'atelier CDA

La restitution de l'atelier CDA (Centre D’Art), qui a eu lieu du 15 au 31 Août 2023, à la Maison Dufort, la 277ème exposition de ladite Maison, qui se veut être un renouveau : jumelant avec les techniques traditionnelles, l'apport des avancées technologiques modernes. Dirigé par Mario Benjamin, cet atelier regorge d’artistes haïtiens : Akim Georges, architecte ; Bertho Jean Pierre, peintre ; David Charlier, scénographe; Francisco Silva, peintre ; Alexis Jean Robert, peintre ; Josué Azor, photographe ; Maksaens Denis, vidéaste ; Marc Constant, sculpteur ; Pierre Michel Jean, photographe ; Steevenson Pierre Louis , sculpteur ; Youvensky Despeigne, peintre, y compris Soble Koffi Djifa Afandina , le seul à n’être pas du terroir haïtien, qui est un photographe Togolais. Ces derniers, dans une complicité consumériste, dévorante, ont créé une unité plurielle, afin de nous plonger dans un univers esthétique et artistique plural. Dans un mélange vectoriel d’arts plastiques, et d’arts visuels, les artistes ont pu nous mettre à mains nues face à la violence, couleur qui ne manque jamais à nos toiles quotidiennes actuelle en Haïti : représentant le désordre total (bwa kale, banditisme...) à travers l'État mouvant dans un double jeu, entre présence et absence. Comment La violence est-elle représentée dans les sculptures ? Quels sens pouvons-nous construire en mettant en parallèles cette manière de représenter la violence, avec la réalité haïtienne ? Quelle est l’origine de ce fléau, menaçant à chaque fois l’ordre social ?

Dans notre lecture de l'atelier, nous mettrons les projecteurs uniquement sur les sculptures regroupées sur le projet kokorat San ras, qui sont l’œuvre des deux sculpteurs mentionnés ci-dessus, à savoir ; Marc constant et Steevenson Pierre Louis. Dans un premier temps, pour les analyser morphologiquement et iconographiquement. Dans un second moment pour montrer en quoi la représentation de la violence comme réalité feinte renvoie au réel haïtien actuel.

Ensuite, nous verrons, avec Hobbes, ce que l’instauration de la peur pour établir la dominer… contient dangereux et de chaotique, que jamais peur, la violence totale/la guerre n’assureront la paix civile.

Comment les sculptures représentent-t-elles la violence/ la guerre ?

Situées en grande majorité à l’entrée principale de la Maison Dufort, dès l'abord les sculptures nous attrapent par surprise. Elles sont toutes des rondes bosses faites en bétons, représentant en grande partie des hommes, quelques femmes, et, les moins nombreuses, des thérianthropes, créatures à la fois animales et humaines.

Les hommes sont de divers catégories d’âges ; enfants, jeunes, adultes, de plusieurs races, de divers époques, munis de leurs armes : de la pierre rudimentaire pour écraser l’adversaire, aux armes à feu (légales, illégales) comme technologie de pointe. Les armes "légales" sont portées par les soldats qu’on différencie par des combinaisons adaptées aux militaires, tels que : casques, bottes pour ne citer que cela. Les autres munis des armes dites "illégales "ne sont pas des forces de répressions légales, ils n’ont aucune combinaison adaptée à la guerre, et portent des habits anodins, tels que : T- shirts, pantalons, sandales… Outre cela, les sculptures représentant les hommes ont une expression de visage qui donne froid dans le dos : une colère brute peut être perçue à travers les plis de leurs visages, et leurs yeux en rouges sang. Donc les hommes sont représentés comme figure principale de la violence, de la guerre, avec en toile de fond des airs exprimant la violence de la guerre, des détonations d’armes à feu, de nombreux cris lugubres exprimant la peur, le désarroi d'hommes, de femmes, d'enfants, dans un brouhaha effrayant.

Quant aux sculptures représentant les femmes, contrairement aux hommes, elles sont dans une atmosphère apparemment dépourvu de violence, exhibant leurs formes, en laissant voir ou entrevoir leurs parties intimes, tels que leurs seins, leurs cuisses, etc. Donc la figure féminine, telle que représentée ici, semble incarner la paix et, curieusement, la luxure, la volupté, et tendresse…

Les autres sculptures représentant les thérianthropes expriment une colère et une agressivité extrême, qui peuvent être perçues dans leurs têtes d'animaux, dans les traits de leurs visages et leurs dents énormes, robustes, prêtes à dévorer une proie. Autre détail important : leurs phallus dangereusement en érection, ce à quoi semble renforcer la bestialité et la cruauté décrites dans la phrase précédente. L’ensemble de ses créatures représentent la violence dans un aspect sexuel. En jouant particulièrement sur la virilité phallique, qui fait précisément de la gente masculine le principal protagoniste animé d’un état d’esprit de violence / de guerre.

Donc les sculptures abordent surtout comme thème général la violence, majoritairement à travers la guerre comme mode et point de rencontre entre les hommes de toutes races et de tous âges qui se perpétue surtout à travers la figure masculine. Mais pourquoi cette représentation qui oppose jusque dans la violence l'homme et la femme ? Les femmes ne sont-elles pas pareillement aux hommes exposées et placées dans la violence ? Ne pas les montrer dans la violence, n’est-il pas un déni de la violence qu’elles subissent au quotidien ? Et les montrer ainsi sexyment et toute aguichante, ou les exposer comme une marchandise , n’est pas encore les faire violence ?

Les sculptures la restitution de l'atelier CDA : un récit de la violence / la guerre produit dans l’espace-temps haïtien

Les œuvres exposées dans l’atelier sont créées dans l’espace de (4 mois), durée qui commence à partir du 25 avril 2023... Cette année est caractérisée particulièrement par une atmosphère instable, créant ainsi une insécurité extrême causée par les gangs qui se battent pour le contrôle des territoires et des commerces. Ce qui entraîne le déplacement massif des haïtiens à l'intérieur du pays . Le mouvement bwa kale comme alternative, expression de la colère et réponse de la population à l’encontre des les individus identifiés comme gangs, face à l’incapacité de l’État haïtien de garantir la sécurité et la paix de la population.

Face aux sculptures de l’atelier CDA réalisées par les sculpteurs mentionnés ci-dessous, on se sent comme placé au cœur de la situation de violence/de guerre que vit Haïti aujourd’hui. Nonobstant l'absence de représentation d’un être type haïtien (morphologiquement) dans les sculptures, elles nous portent à penser sur la violence comme constante universelle, n’écartant surtout pas Haïti, et ce faisant à nous interroger sur son origine, son pourquoi et son omniprésence dans les sociétés humaines (toutes empreintes de naïveté que peuvent paraitre ces questions).

Quand la domination par la peur mène au chaos. Clin d’œil à Hobbes ?

Les philosophes se sont toujours intéressés à la violence, depuis Héraclite d’Ephèse, passant par Platon, par Hobbes, par Arendt, jusqu’à Michel Foucault et tant d’autres philosophes contemporains . Parmi les contractualistes, Hobbes est le seul qui a su voir in abstracto l’état de nature dans un fonds de violence totale, dans le Léviathan (1651), subdivisé en quatre grandes parties : la première, de l’homme ; la deuxième, De la république ; la troisième, de la république chrétienne ; la dernière, du royaume des ténèbres. L’état de nature chez Hobbes est principalement traité dans la première partie dans les chapitres XIII au XV.

D’entrée de jeu, l’auteur établit une égalité naturelle entre les hommes à partir de la prudence, plus importante que les égalités de force physique et d’esprit. Car la vie du plus fort est tout aussi menacée par le plus faible, que celle de ce dernier est menacée par lui. Quoique cette égalité des hommes à l'état de nature Hobbesienne, une atmosphère d'insécurité règne, car la destruction de l'autre comme désir, est comme une nécessite pour la conservation de soi. À l'état de nature Hobbesienne, de peur de ne pas être détruit ou dominé par la force ou par la ruse des uns et des autres, les hommes se regroupent ensemble (famille)... À partir d'une anthropologie pessimiste, l'auteur montre que le regroupement naturel des hommes est un compromis possible s’ils sont dominés par la peur. Mais la peur comme instrument de domination n’ouvre-t-elle pas forcement au chaos, témoin le cas d’Haïti d’aujourd’hui, et tel que nous le montre ces œuvres sculpturales de l’Atelier CDA ? N’est-ce pas alors retomber dans l’état de nature, l’état de violence totale (et légale) de chacun contre chacun ? Chimère est la pensée voulant faire collectif sur des piliers branlant, mai monstrueux de la peur. La peur ne produit jamais rien. Elle détruit plutôt, telle une gangrène.

Voilà donc ce que nous montrent ces œuvres ! Elles brandissent sous nos yeux, pour mieux nous le faire voir, notre mal, le mal qui nous ronge, qui ronge même l’humanité en nous ; elles nous montrent cette violence totale qui aujourd’hui nous dévore jusqu’à notre âme… ces œuvres sont pour nous comme une mise en lumière de cette violence totale/guerre que subissent les familles haïtiennes, non pas pour davantage les terroriser comme cette dernière le fait déjà, mais plutôt pour nous la rendent plus visible, nous en rendre plus palpable la monstruosité et par la même nous faire voir l’urgence pour de la combattre. N’est-ce pas là toute la force, la subtilité de l’engagement de l’art : dénoncer, critiquer voire combattre, rien qu’en levant une fine voile. C’est d’ailleurs ce que disait déjà justement Paul Klee, à sa façon : « L'art ne reproduit pas le visible, il rend visible ».

Janitor Messhwa LOUTE, étudiant en philosophie, à l’École Normale Supérieure de Port-au-Prince

1. Dans un article publié sur Alterpresse sur le site www.alterpresse.org, le 21 mai 2014, dans Espace Femme, sous le titre : Haïti genre quand la publicité sabote le travail des féministes. La sociologue Sabine Lamour, professeure à l'université d'État d'Haïti (UEH) relate avoir répertorié dans le dernier trimestre de l'année 2012 et du début 2013. Un ensemble de publicité, plus de 20, utilisant le corps sexué féminin comme « produit de consommation », « objet de captation en prime du produit ».

2. Sur le site de l'ONU news.un.org, le 16 Août 2023, l'OIM (Organisation Internationale de la Migration) relate le déplacement interne des personnes en danger vers d'autres sites.

3. VIOLENCE, Yves Michaud, collection QUE SAIS JE ?, Presses Universitaire de France , Paris ,(1986) mise à jour en 2012. L'auteur consacre le dernier chapitre, le VIII titré Violence et philosophie. PP 114 - 131. Dans lequel il fait une généalogie de la violence de l'antiquité avec Héraclite d’Éphèse, jusqu'aux philosophies contemporaines.

4. Discours sur l'origine des fondements de l'inégalité parmi les hommes (1754), Jean Jacques Rousseau, Éd. électronique v.: 1,0 : Les Échos du Maquis, (2011), première partie PP 36 - 38. Rousseau critique Hobbes de ne voir rien de bon chez l'homme à l'état de nature, qui selon Rousseau est l'état "le plus propre à la paix et le plus convenable au genre humain “. Hobbes se trompe parce qu'il insère des résultante de la société à l'état de nature tel que : les passions comme causes des guerres, la famille, la domination des plus faibles par les plus forts. Ensuite de ne pas voir la pitié ou commisération comme sentiment principe naturel empêchant à l'homme de souffrir son semblable, car la souffrance de l'autre renvoie à la souffrance de soi. L'amour propre selon Rousseau étant le produit de la société par le biais de la raison est ce qui rend possible le détachement de soi avec autrui, pour se voir comme entité individuelle. Cependant Il s'y rencontre sur la conservation de l’homme, mais Rousseau pense que l'homme ne doit se conserver en attaquant pour chasser ses proies, et en se défendant pour ne pas devenir la proie d'un animal.

5. La théorie de l'art moderne, publié en allemand, Das Bildnerische Denken (1920). Chapitre Crédo du créateur. Dans ce livre Paul Klee pose les bases de l'art moderne en rompant avec la vision classique en ce que l'art n'imite plus servilement la réalité mais la dévoile.

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