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Indications pour une rencontre

I-À comparer l’homme à son départ, j’ai compris ma place. Si cette place occupait l’espace d’un poème, sa latitude exacte s’épingle au dix-neuvième degré sur le cœur d’un quidam, et se compare à tous les visages qu’il m’est impossible d’oublier, et qui me sont tout aussi impossibles à contenir. Le hasard de l’horreur ou de la joie, le hasard, comme un imbécile, le hasard, comme ces éclats d’ongle qui font saigner le doigt de l’intérieur. Mon sortilège favori pour le défaire est de me surprendre à me mentir, sans perdre foi dans la vérité démoniaque, et sans laisser couler une seule goutte d’innocence, car je mes lèche mes blessures du bout de la langue avec délectation. Affecte donc ce doux fameux sourire sanglant.

Poèmes, j’ai des citations de vers qui me gardent de m’excuser d’aimer les mots, parce que leur consolation n’est ni fausse, ni vraie, mais temporaire, et comme un rappel à la question, de qui pourra tenir jusqu’à la pourriture, où l’éclosion d’un souffle, un seul souffle, un je t’en prie prends moi la main… se chargera de faire le travail insensé, le manier du ployer, la matière, nos vies. Nos phalanges articulent. Pas bien moins que nos langues, ou nos yeux, enrubannés de muscles derrière ce globe, que nous ne voyons pas. Je regarde les choses. Je les suis. C’est ce que nous disons. Que nous suivons les choses. Les choses démantibulent en araignée, les yeux, nos mains, et nous sentons ces doigts qui s'agrègent dans notre esprit - comme la graisse du romarin entre le pouce et puis l’index du souvenir - à la manière des détritus dans les cuisines, les ravets. Il y a toujours des dents, des dents tranchantes sous les paupières longues comme le sont les miennes, tranchantes, comme une branche de citronnier, cassée, que la cruauté des enfants saisira - pieu à six dents facilement à même de tuer un humain, si correctement plantée sous la trachée pour finalement déchirer la langue, mais sans assez de force pour traverser le palais - pour supplicier une fourmillière rouge, en jouant à se faire peur des morsures incapables d’atteindre leur monstrueuse apocalypse ventripotente, acidulée, joufflue de rire et d’un émerveillement qu’aucun dieu ne serait gardé de créer.

Si tu trouves à respirer une seconde. Retrouve quelques mots simples. Ressaisie ta mémoire d’une esquisse de grimace qui s’essaye à la tâche de discutailler. Parlez-moi. Parlez-moi un peu. Ce n’est pas une technique, les mots. C’est qu’il faut s’oublier. Il faut s’asseoir. Il faut les regarder passer. Car tout leur appartient. Et puis rentrer chez soi. S’il y a chez soi. Se tromper de chemin. Rentrer chez soi. Sans même savoir qu’on le faisait. Les embouchures aux chevilles. Les carrefours s’évaporent en trois langues à la fois. Si m te m ta. Plus belle encore pensée qu’un baume est dans sa bouche. Il reste un temps pour retrouver l’espace d’un incompréhensible acte qui servira demain, d’une manière… d’une certaine manière… on va dire Je marche pieds nus sur des éclats de verre. Je pose mes pieds avec l’intention de celui qui sait ce qu’il en coûte de détourner les yeux d’un cadavre, et ce qu’il en coûte de ne pas détourner les yeux. La rue brille le matin. L’essence… des choses… l’essence des points de suspension quand on s’écoute hésiter… l’essence... ne pourrait pas surgir sans avoir déjà été, une mâchoire branlante sur l’intelligence, et sur les mots. Nous détestons les mots. À chaque bouche ouverte, les mots froissent nos cartes enfantines pour allumer un feu. Les mots sont cannibales. Ils se regardent en face. Puis ils deviennent. Ils deviennent les autres, dans le réveil du mal macaque, comme l’enfant polydactyle qui a mangé son frère.

Je dis des mots, parce que je sais ce qu’ils contiennent. Ces espèces de langues amantes étourdies… elles ne pensent pas, ne se pensent pas. Ne se savent pas être. Mais ils nous disent. Ils nous attendent. La sorcellerie de l’association d’idée ne nie pas l'ascèse d’une fiole de poison élémentaire ou d’un baume de ricin sur le cou enfiévré du marmot qui se larmoie sous la main d’une marraine tendre.
S’il fallait se souvenir de toutes les conventions de la magie moderne pour écrire, il faudrait tout au moins s’amnésier des règles de la marelle ou des osselets. Il faudrait que la rareté du silicone ait la démence de me connaître et de me créer aussi mal que moi-même. Il me faudrait me connaître avec la même inexactitude que les tambours nous offrent en rêve, tétrodoxine des astéries dans la survie inerte d’un zombi croisé le soir ; je me récite le poète qui disait : s’il fallait dire un peu de cette insouciance et qui nous mène au jardin des faillites et de la solitude, s’il fallait... s’il fallait… alors remonterait du fond de nos cagibis inconscients, du fond de notre vouloir le plus profond, la certitude.

S’il fallait vous dire au moins mon nom, et ma fonction, et mes métiers, mes repas mémorables et mes masturbations, et mes pantalonnades, je dirais que je suis le malfaiteur et le héros, la victime et le vainqueur. Cette définition est le début de roman. D’un roman pas loin d’ici, par Trinidad. Mais voisinages mis à part, s’il fallait ensuite vous méprendre un peu plus sur ma date de naissance et mon pays d’enfance, et sur ma provenance démembrée, je dirais à la suite d’un poète de Saint-Antoine, soti Lakou Souvnans rive Lavilokan chak kote mwen pase m ap nonmen non w, si ça vous aide à clarifier les choses.

Personnellement, je n’ai jamais croisé un “citoyen du monde” qui ne soit pas ignoble, mais j’ai parfois senti de la Sénégambie de mes membres fantômes un dédain pour la mer infaillible et traîtresse. On se fabrique les continents qu’on peut, depuis les provinces qu’on a, puisque sans conteste les aires encastrés d’écume nous intiment en commun l’impossibilité dans nos bouches, et nous donnent l’arrogance d’un certain regard sur le destin, sur les bicoques dans la jungle ecchymose de jaguars. Avec mes frères galeux, et avec mes sœurs sordides, nous sommes d’une race à part qui s’aime à haïr l’immortalité.

Notre famille de rêveurs connaît le sens du natif du mot natif, du mot natal, car nous entendons raconter des histoires absurdes qui mettent les volcans à quatre pattes face à nos sens les plus aiguës, car nous entendons raconter l’amour, et là, je ne donne pas dans le cosmique, ni le comique de situation, ni dans la grâce : je vous demande qu’on me serve des lèvres humaines, que je puisse embrasser et dire à qui elles appartiennent, au summum du fantasque, pour un peu ralentir les fabulations inutiles, au risque de passer pour un sentimental.
Quand j’écris un poème d’amour, j’imagine un lecteur. J’imagine l’amoureuse, l’amoureux ou l’ami. J’imagine un enfant. J’imagine une policière, un prostitué, une marchande de pistaches. Sur le moment. Devisant la prosodie, appréhendant, dotant le style, le cycle, en sympathie de la partance, parfois, un peu, en gros le rythme, que tu voulais qu’ils sentent. S’ils y trouvent autre chose que ce qui était mis, tant mieux. Quelques malentendus à nous approfondir. Pour avancer, reculer, ou bien rester sur place, ou bien, minablement s’enfuir. Sur mon pays j’ai bien quelques questions : où en sommes-nous, gens de bien? que faire et vivre pour voir dans le cisaillement des vagues le plissement des paupières d’une amie? Puisqu’à tout dire, quand les choses sont terribles, à la question métaphysique “comment ça va?”, mon peuple dit: “nous observons” ou “nous suivons les choses”. J’aime beaucoup cette réponse. Il y a menace et puis sagesse en elle. Et puis surtout, simplicité.
Tout est simple en poésie, car tout est bien indiqué, appuyé, de manière enfantine : l’amour et ses tribulations, la texture des pensées, le poids de vous et moi, l’horreur du monde, et, pour sûr, l'espérance (qu’il faut crédible pour continuer).
Ce qu’un poème apporte au monde est l’esquisse de vivre, vivace pas vierge, mais toujours ingénu, et l’allure, la forme, qui se précise sans jamais s’achever. Ce qu’un poème apporte au poète est la participation d’une écume ridicule à la crête des vagues infinies de la parole humaine, qui cherche en son recommencement la contingence d’un rivage. Un rivage. Quand nous manquons pays. J’imagine que par cette image j’essaye de dire que la pratique d’un art fait partie des gestes auxquels je crois, que d’autres prétendent croire, que font les humains, et les refont, pour se trouver un lieu, un avant-poste, d’où regarder la tempête. Une chose pas du tout extraordinaire. Une chose banale. Comme se souvenir de nos morts.

Une destination est une affectation plus belle que l’errance. C’est ma justification, ma justification des hâbleurs fanfarons et des fous publics festoyant de leurs tripes, ma justification des parleurs de français nauséeux, et des virtuoses infâmes du créole lovelace, et des lecteurs incorrigibles… on peut dire ça combat. On peut dire ça féroce. On peut dire ça. Parlez m’en. Parlez moi.

II- Dans un livre de vers, rassemblés sont des titres qu’on veut parfois énigmatiques, et parfois transparents. Un titre est une explication ou un nom propre. Il y a une part d’arbitraire dans un titre, mais aussi le désir de contrôler la dissémination du sens. Soit pour l’aggraver, soit pour la contraindre. On peut prendre un titre de poème au sérieux. Il se peut que sa fonction soit de fabriquer un sommaire attrayant, qui est une sorte de poème aussi. Ou bien, un titre est comme une carte d’un pays. Une carte mentale, parfaitement imprécise, ou une carte de cartographe, parfaitement imprécise. Les titres sont tout ce qui reste des rencontres ratées. C’est là leur légèreté.

Je sais qui est celui qui parlait me murmurant le nom propre de mes poèmes. Je ne lui donne pas d’autre nom que le mien, mais ne m’aurait pas déplu de le faire. Ce qui ne pourrait pas porter un autre nom, est le lieu du poème. Il m’arrive rarement de le citer, pour me convaincre qu’il est universel je suppose, mais contrairement aux gens, les lieux ne se ressemblent pas. À peine se rappellent-ils par des poèmes ou des souvenirs. Port-au-Prince est le nom de ce lieu encerclé par “les calibres de la folie” des cauchemars de Castera. C’est le seul lieu de ces poèmes. Peut-être un lieu Caraïbes, un lieu Kingston, ou Point-à-Pitre, un lieu Jean-Rabel, Trou-Forban ou bien Pestel. Mais je dois dire, pour être honnête, que Port-au-Prince aura forgé mon âme, cherchant sa place dans les braises, et Port-au-Prince, ville-malheur, ne se ressemble qu’à Port-au-Prince. Désespérément.
Chaque personne que j’ai pu rencontrer - qui m’inclinèrent à mettre ces mots en vers - sont là. Des bras d’espoir à récolter. La lumière. Le poème. Ou bien les gens. Ou tout ce qui peut porter un nom. Tout peut porter un nom. L’'Innommable ou Untel, sont des noms. Le poème tente. Il raconte tente. Il se cache, mais il se cache mal Il met en branle. Il ne survit pas aux noms. Rencontre des ombres et des espaces, rencontre des puissances, et de la perte, du rire fou, et du combat boiteux. Ce qui départ du titre. Nommer, c’est dire la seule vérité. Un poème ne nomme pas. Il se rappelle et cherche à dire.

Par Mehdi E. Charlmers
Poète-philosophe

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