La mort ne caractérise pas seulement la finitude de l’homme. Elle est également ce qui traduit son infinitude. En tant qu’elle est enfantée par la vie, la mort ne peut être opposée à la vie. Elle n’est que le commencement d’une nouvelle naissance qui prend corps dans les œuvres du défunt et dans les cœurs de ses proches à la fois comme produits et témoins de ses expériences relationnelles au monde compris du point de vue d’Augustin Berque.
Ainsi, je considère la mort de mon grand ami Farid Sauvignon comme le commencement de sa vie qui se perpétue dans mon cœur, d’abord pour tout ce qu’on a partagé en tant qu’amis qui me marquera à jamais, ensuite dans sa manière singulière de vivre son quotidien. Evidemment, je pleure la mort de Farid en tant qu’absence physique, non pas en tant qu’absence dans mon cœur, dans le sens qu’il sera toujours présent en moi. Je suis certes profondément attristé par la mort de mon grand ami, mais mon cœur n’est qu’un lieu de vie et un reposoir qui gardera toujours présentes ses œuvres d’amitié.
J’ai rencontré Farid Sauvignon, pour la première fois, en 2017, après un spectacle de théâtre. Il m’a été présenté, si je me rappelle bien, par Katiana Milfort. Depuis ce jour, Farid et moi, nous étions comme magnétisés l’un à l’autre par une force tout naturellement inconnue. On était alors devenus des amis inséparables. Farid et moi, nous avons vécu des moments forts d’émotion et d’allégresse dans l’abondance comme dans la disette. Il était un homme fort de caractère, mais sans extravagance, très discret et charitable. Il avait beaucoup de choses à montrer au monde, mais s’abstenait toujours de s’exposer. Il est vrai que la mort d’un homme ne fait que rappeler sa vie et la place qu’est réservée à chaque homme de mourir, mais je me demande pourquoi ce sont toujours les bons hommes qui partent en premier ou à fleur d’âge. Je peux témoigner du sens du détail et du partage de Farid Sauvignon dans sa manière de satisfaire ses amis, sans rien attendre en retour. Par exemple, en tant qu’il connait mon goût prononcé pour le vin, il était toujours prêt à m’en offrir. Il était, pour moi, l’incarnation de l’amitié fidèle et désintéressée. Farid Sauvignon ne commentait jamais la vie des autres, pas même sa propre vie. Le Farid que j’ai connu était un trésor ambulant, et puisqu’il fut ainsi, sa valeur était parfois voilée par sa discrétion.
J’aurais tout fait pour avoir mon ami, Farid Sauvignon, à mes côtés. J’aurais mille fois accusé la mort d’être trop prompte à son devoir, mais elle n’aurait pas arrêté sa course. Je l’aurais dix mille fois accusée d’être trop égoïste dans sa sélection, mais elle n’aurait pas changé de cap. Je l’aurais vingt-mille fois suppliée d’épargner mon ami, mais elle ne m’aurait pas écouté dans sa surdité. Pour éviter de sombrer totalement dans la douleur, je ne fais que l’accepter pour ce qu’elle est, c’est-à-dire en tant la mort. Je fais comme si elle existait réellement. Elle n’a fait que détruire l’enveloppe corporelle de Farid, mais jamais sa présence en nous.
Par sa mort, la vie de Farid se prolonge dans les bonnes graines qu’il a semées et qui continueront à donner des fruits succulents profitables à ses proches et à toutes celles et tous ceux qu’il aimait et qui l’ont aimé. Là où il y a la mort, il y a la vie en même temps. C’est donc par la mort que Farid accomplit l’acte de vivre, en nous devançant. Par ce même accomplissement de la vie, il se prolonge dans l’être infini et atteint mêmes des cœurs indifférents.
Si la mort de Farid me bouleverse autant, c’est parce qu’il a marqué son temps à jamais de marques indélébiles. Par ses actes, Farid s’immortalise et accomplit son désir d’être toujours-là et toujours présent. Je peux affirmer ainsi qu’il a vaincu la mort. Pour Ludwig Wittgenstein, la mort n’est pas un événement de la vie en tant qu’elle ne peut être vécue. Farid n’a pas vu arriver sa mort ni n’a pu l’esquiver. D’ailleurs, nul homme n’a ce pouvoir. Si Farid est mort, c’est parce qu’il a vécu et continuera de vivre en nous.
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