ALORS?
D’aucuns diront que ce serait taper sur l’ambulance d’affirmer que la production cinématographique haïtienne souffre de contusions, d’un abdomen perforé, de plusieurs côtes cassées, d’un système digestif à la dérive, d’une colonne vertébrale en compote, d’une monstrueuse hémorragie et de multiples autres blessures aléatoires orchestrées depuis plusieurs décennies par des œuvres aux intrigues artificielles et traitant des sujets importants à la Vin Diesel’s style par rapport aux lois de physique où les os avachis de notre pauvre cinéma auraient malheureusement subi pareil sort à celui d’une énième victime de la route se précipitant dans les identiques profondeurs abyssales d’un alcoolo ventripotent au soir du Nouvel An ? Situation on ne peut plus alarmante face à laquelle d’autres viendront ajouter de but en blanc « ce n’est plus la peine d’espérer quoi que ce soit de cet art par ici tant c’est la faute à la fatalité si notre cinéma meurt dans d’atroces souffrances parce qu’aucune figure issue de la génération post quatre-vingt n’est arrivé à en saisir sa substantifique moelle ». Et ?
Cela va sans dire qu’il ne vous sera pas vraiment difficile de convenir qu’une telle succession de bêtises enchevêtrées dans de tels cerveaux de plomb pareil à ceux des clickers, capable de mettre en lambeaux le fameux principe de parcimonie, n’est rien d’autre qu’un raccourci pour prendre la tangente vers des circuits de légèretés où toute violation de la causalité globale serait l’unique solution envisageable. Et vous savez quoi ?
Vous avez absolument raison de rejeter en bloc ce genre de raisonnement fallacieux, car l’ignominie de soutenir de telles absurdités en trompettant que notre cinéma n’a jamais connu de fulgurances ou de quelconques sursauts de protubérances que ce soit, n’est autre qu’un très mauvais aveu d’échec face à la générosité d’une production comme Kafou qui est allé jusqu’à titiller les astres. Excusez du peu. Et parce qu’il faut le dire. Ce n’était certes pas totalement pire avant, mais pour parfaire cette transition qui tarde à venir, ce n’était pas tout à fait parfait non plus. Avant.
On vous laisse deux s'condes pour trouver la référence...
SI VIS PACEM, PARA BELLUM
Quand un patient souffre depuis presque toujours de quelques formes de douleurs que ce soit, il est plus qu’évident et primordial qu’après une solide consultation en bonne et due forme, le médecin en charge se doit de poser un diagnostic à la limite de l’irréfutabilité en vue d’un traitement convenable sans minimiser au préalable les risques de survie dudit patient en question. Mais, qu’en est-il de la pensée de monsieur, madame Tout-le-Monde ?
Partant du principe que le travail de critique d’une œuvre cinématographique peut, à bien des égards s’apparenter à un travail de dissection médicale dans un but de mettre en lumière les différents liens existant dans ladite œuvre pour arriver à comprendre/saisir son fonctionnement, les thèmes qui y sont traités ou la manière avec laquelle ces thèmes permettent de rendre accessible le propos que le film tend à faire passer en corrélation à la perception globale de son contenu analytique. Et, face à l’acceptation de ce propos par son public ; vous serez malencontreusement abasourdi par l’ignominie saupoudrée de référents inadaptés qui peinent à s’énoncer et s’encapsule dans des itérations vampiriques uniquement muselières de tout regard porté sur une démarche artistique éclatée au sol, mais qui finirait par donner indubitablement un faux-semblant de légitimité à monsieur madame Tout-le-Monde, impétueux de leurs turpitudes, le besoin de susurrer qu’une critique, et dans ce cas précis, la dissection aortique de notre patient n’a même pas lieu d’être, car ce n’est rien en soi que de lui jeter de l’opprobre en vue de parachever une diatribe dénuée d’objectivité tout en supputant au passage que c’est l’exactitude de la démarche si on leur tendait la perche de l’action participative ; et ce, malgré le fait que l’on vit dans une société où tout le monde croit pouvoir jouer au toubib. Effrayante sinécure, d’ailleurs.
Mais t'es un vilain p'tit chenapan,toi au fait!
PATIENCE DANS L’AZUR
Passé ce stade, vous êtes en droit et à raison, de vous demander si à l’introduction rocambolesque de ce propos ne préfigure pas un gros cercueil, des cris à tue-tête, des boute-en-train dégoulinant d’insomnie et suintant l’alcool à deux balles, face à d’autres ne sachant pas quoi faire quant à l’espoir d’affirmer qu’il y a possibilité de détecter un pouls à notre pauvre cinéma serait : futilité effarante. Eh bien, vous aurez tort. Parce que... Contrairement à monsieur Diesel et ses potos qui driftent tout et n’importe quoi (RIP la Gravité) pour le bonheur de quelques personnes de plus en plus timbrées, notre patient, lui aussi a fait brûler du carburant pour chauffer l’asphalte de quelques rues de Port-au-Prince où Kafou se retrouve justement à être le nec plus ultra.
Des regards qui réinventent le vide de notre cinéma !
PÉPOUZE DANS LE CADRE
Sorti de la boîte crânienne du trio ayant à sa tête le talentueux comédien Jasmuel Andri, un Bruno Mourral qui était jusqu’ici connu pour ses pubs déjantées et d’une tentative avortée de mettre sur grand écran « Le Revenant » du célèbre écrivain Gary Victor dont le rôle-titre était confié à l’indéboulonnable Jimmy Jean-Louis et enfin d’un Gilbert Mirambeau antérieur à son apophtegme « Kot kòb PetwoKaribe a ?
Bénéficiant d’un budget de 250 000.00 dollars USD pour une sortie en octobre 2017, la production de ce moyen métrage fut sujette à de multiples reports de tournage pour toutes les raisons évidentes à la fabrication d’un film en Haïti, telle l’absence de législation sur le cinéma, donc pas de politiques publiques encadrant la production audiovisuelle ; le déficit de « vrais » mécénats, donc pas de financements pour des œuvres de fiction ; plus de Ciné Institute, donc pas vraiment de formation continue ; et bien d’autres encore.
Heureusement, tout ce bug dans la matrix n’empêchera pas au bébé de Muska Group et Muska Films de faire irruption dans pas moins de dix festivals cinématographiques à l’international, avant d’aller finir sa course chez des fournisseurs en SVOD Amazon Prime et Apple TV+ sans oublier des projections qui ont été faites un peu partout dans le pays (Merci Élu, pour les recherches). Fort d’un parcours somme toute acceptable où les quelques rares critiques ont été circonspects par l’effort visuel et narratif déployés dans cette production, il devenait sans à peu près et sans ambages, une lapalissade que Kafou soit élevé à la stature colossale d’un ovni filant dans l’espace entre les espaces intersidéraux du paysage cinématographique haïtien, car ce moyen métrage d’une durée de 50 minutes fait partie de ces rares productions d’ici dont la direction artistique exécutée avec minutie arrive à titiller vos neurones comme dans un vrai jeu d’échecs où la malléabilité avec laquelle la trame de l’histoire choisit d’avancer les pions de chacune de ses séquences, laisse à penser que le tout est tributaire de décisions mûrement réfléchies, allant du choix des dialogues, aux pixels étalés au rendu final. Du presque jamais vu ici.
Un plan. Un moment d'anthologie!
YOU TALKING TO ME ?
La véhémence spectrale de la photographie de Kafou semble sortie d’une boîte de confiseries, où l’agencement de toutes les couleurs est bon à prendre, tant et si bien qu’elles se marient avec allégresse dans la plupart des compositions de cadres. Un travail de minutie qui va jusqu’à faire écho au style néo-noir du cinéma français avec des œuvres comme « Touchez pas au grisbi » de Jacques Becker, « Le samouraï » de Jean-Pierre Melville et plus récemment, avec d’autres œuvres plébiscités dans le genre comme Mulholland drive, Taxi Driver et Collatéral de nos amis d’Hollywood. Une esthétique plaisante qui renforce le regard sur tous les noirs bouchés de l’image et ainsi permettre à chaque photogramme de donner une cohérence visuelle aboutie à Kafou qui ne se prive pas pour donner de grosses sueurs froides à tous•tes les cinéastes choucroutiers de seconde zone qui pullulent et polluent le septième art par ici.
Split Screen + Lens Flare + Bokeh = Combo parfait!
BIS OU UNE CERTAINE IDÉE DE MISE EN SCÈNE
Il réside dans Kafou quelque chose pas loin de l’épuration dans le choix de faire malicieusement coller la caméra au plus près des deux personnages principaux, car munie d’une bagatelle de valeurs de plans et des raccords de mouvements d’une caméra portée avec brio n’obstruant d’aucune façon la lisibilité des scènes filmées. Une leçon de grammaire visuelle orgasmique et son découpage adéquat qui viennent ponctuer avec efficacité la maitrise d’une réalisation qui tape vivement la rétine, jusqu’à son délirant scène de fin qui laissera pantois plus d’un.
De délicieux choix de plans et de cadres qui viennent aussi renforcer avec vigueur, à la fois la tonalité dramatique du film, qui ne fait que monter en crescendo, mais offre aussi la possibilité à chaque cut (coupe) de venir s’intercaler finement à toutes les autres valeurs de plans utilisées dans le processus. Ce faisant, ils permettent surtout d’accentuer l’aspect anxiogène de toute cette grosse séquence se déroulant lors du trajet en voiture, où l’angoisse qui se lit sur le visage des deux protagonistes devient évidemment une pure grille de lecture cinématographique dopée à un bon travail d’écriture et d’un découpage rudement mené pour faire péter les curseurs de la créativité visuelle à son paroxysme et donner à un Jasmuel Andri habité toute la mesure nécessaire pour parfaire l’étalage de sa subtile palette de jeu avec une finesse qui frôle l’indécence. De la pure compétence porn !
Quand ton crush t’oblige à mater quatre Haitian Movie Youtube à la suite
FIRST PERSON SHOOTER
L’orchestration globale de Kafou ne se prive pas pour pointer du doigt des thèmes comme la justice populaire ou l’absence de sécurité dans nos quartiers les plus démunis que la caméra de Bruno Mourral arrive à traiter comme un vrai Thriller. Si le contrat cinématographique passé entre le réalisateur et ses spectateurs tient assez bien la route, on notera par contre que l’exécution de la démarche quant à elle fait plutôt l’effet d’un pétard mouillé par l’introduction d’un humour rébarbatif qui vient casser l’angoisse du spectateur et le sortir d’une magnifique tranche de cinéma qui partait pour avoir la meilleure scène de fin de toute l’histoire du cinéma haïtien, depuis le fameux « L’homme sur les quais » de Raoul Peck.
Un choix de cassage de rythme assumé du réalisateur et producteur Bruno Mourral qui disait lors d’une séance questions/réponses à Kit Médiathèque avoir pensé cette séquence de fin comme une sorte de catharsis personnelle.
Une justification assez surprenante, mais qui n’empêche pas au scénario de retomber sur ses pattes quoiqu’il lui arrive pourtant de se méprendre dans la caractérisation de certains de ces personnages, en tirant maladroitement ses épingles dans un manque de finition accordée à la figure de la corruption dans les hautes sphères étatiques du pays, ou plus encore, le réalisme saccadé d’une association de malfaiteurs qui ne facilite pas une immersion totale. Car, dès le départ, le prologue du film se heurte malheureusement aux cabotinages répétitifs du sidekick non assumé de Manfred Marcelin confondant jouer un personnage et se jouer lui-même. Alors que l’exactitude de l’intrigue que nous propose de suivre Kafou jouit d’une excellente mise en scène rythmée avec une très bonne photographie qui se démarque des bouillies tiédasses de certaines productions YouTube réalisés sans fonds où sont piochés les futurs meilleurs acteurs et actrices de l’année (Attendez, vous êtes sérieux Ticket Magazine ?!).
Tu croyais quoi Nadège???!
QU’ELLES SE MARIENT, OU SE FASSENT PUTES
Vue d’ici, la caméra de Bruno Mourral parvient magistralement à exciser les démons intérieurs de ses personnages (par corollaire, les nôtres aussi) en les confrontant à la dure réalité de leur monde chaotique.
Par contre, le couac inévitable de la très mauvaise représentation des figures féminines de son film constitue un problème de taille qui aurait pu être réglé en amont dans le scénario et permettre ainsi à ses deux secondes rôles féminins de jouir ne serait-ce qu’un minimum de background adéquat au lieu de se voir simplement reléguer à une banale évocation de la braguette, pour l’une et deux lignes de dialogues triviaux pour amener le spectateur à comprendre que même durant leurs rondes de nuits, la police ne se démord pas à tenir en laisse une pute qui, osant le ton se croirait déjà absous du patriarcat post #Metoo.
Désolé pour notre pute, on n’aurait pas dû la sortir du bordel !
N’ENTRE PAS DOCILEMENT DANS CETTE DOUCE NUIT
Il est aussi à déplorer que ce beau travail de mise en scène, qui se révèle comme du caviar distribué à bon escient, se soit inextricablement pris un violent bourre-pif injustifié en plein dans les mirettes quant au surjeu de Rolapthon Mercure. Tel un météore, traversant le film et se mouvant à une vitesse supersonique, il ne nous fait jamais subir la moindre embardée, tout comme la bande-son qui peine à donner une identité aux différentes séquences de l’œuvre. À moins que son absence ne soit là pour évoquer une certaine nostalgie radiophonique perdue dans le passé, ou serait-ce plutôt un sérieux problème d’habillage sonore pour n’importe quelle production filmique se vouant à marquer les esprits ?
Une séquence. Un moment d’éternité.
MAY THE FORCE BE WITH YOU
Qu’on se le dise sincèrement, là où d’autres s’obstinent à voir de faux problèmes, comme l’improbable et absurde polémique sur l’apparence de ses deux acteurs principaux (suspension de la crédulité, toi-même, tu sais), Kafou a pour lui des qualités qui balayent plutôt bien les quelques vrais défauts qu’il contient. À l’instar de sa première partie qui semble traîner la patte et n’offre pas beaucoup de substance à se mettre sous la dent. Tandis qu’une fois la seconde enclenchée, le pont des remises en question, l’évolution de l’intrigue mère, la psychologie des personnages ; mais surtout, la résolution finale de Kafou lance avec maestria la danse des enjeux, du rythme et de la photographie dans une explosion de mise en scène réalisée aux petits oignons.
S’il est plutôt dommage que quelques-uns de ses acteurs cabotinent dans leur incapacité à fournir des prestations abouties dans le jeu pour leurs personnages respectifs. Si la bande originale brille par son absence, on notera que la délicieuse séquence-montage dans la bagnole place de fort belle manière un beau moment iconique/comique dans le film sans dénoter d’aucune façon le ton du film.
Et s’il n’a malheureusement pas été le remède miracle qui allait sortir notre cinéma de son état léthargique, Kafou a néanmoins eu un effet de premiers soins en permettant aux ambulanciers d’arriver à temps aux urgences, où de vrais professionnels ont su, avec les moyens du bord, prodiguer à notre patient agonisant de quoi l’amener à laisser des possibilités sur les limites du temps.
Aussi, parce qu’il a le mérite d’être un film réalisé avec passion, guidé par un scénario qui tient sa promesse de raconter un récit bien ficelé, sans trop grandes fioritures dans une approche qui touche à des enjeux forts comme la famille, la justice populaire, la gangstérisation, la corruption, etc., tout en parvenant à ne pas se planter, principale qualité de pas mal de productions sœurs « made in Haiti » ; il va de soi que Kafou siège à la table des grands, car il a ouvert la voie de différentes manières vers des horizons pour que d’autres créateurs.trices arrêtent de se récuser face au large spectre de possibilités qu’offre le septième art et par là même, dans sa pratique, qu’on puisse un jour espérer voir notre malheureux patient refaire partie du royaume de ce monde.
Gaël Jean-Baptiste
Paru le 27/12/2023
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