En 2006, aux éditions du Seuil, dans la collection « L’ordre philosophique », Quentin Meillassoux, philosophe français, publie Après la finitude. Essai sur la nécessité de la contingence, préfacé par Alain Badiou, co-directeur de la collection. Comme le titre le suggère, l'auteur se propose d'établir la nécessité que rien n'est nécessaire. Pour les férus de philosophie postmoderne, le vocabulaire semble périmé et renvoie à un univers métaphysique dépassé. Et pourtant, c’est justement ce qui fait la portée du travail de notre auteur, que Badiou qualifie de « nouvelle voie », et que d’autres considèrent comme le dernier grand livre de la philosophie. Après la finitude a suscité et suscite encore pas mal de débats dans le monde académique : rares sont les ouvrages de philosophie contemporaine qui ont eu une telle ampleur ; en ce que, non seulement, il sort son auteur de l'ombre, il le place à la tête d'un courant au sein de la vague de résurgence du réalisme, appelé « Réalisme spéculatif ». « Réalisme », parce que notre auteur ne cesse d'affirmer l'existence du Grand dehors, et « spéculatifs » par sa quête ou du moins la recherche de l'absolu (p. 68) en tant qu'il est non métaphysique, c’est-à-dire non dogmatique .
Ces résultats, ou du moins ces conclusions ne tombent pas du ciel, le travail de Q. M. s'inscrit surtout dans une lecture de l'histoire de la philosophie de la connaissance avec pour grille le problème de la chose en soi hérité du criticisme. Ce qui explique la division de l'ouvrage : d'abord, une critique de ce qu'il appelle le corrélationisme, c'est-à-dire toutes les formes aussi radicales que souples de philosophie de la représentation. Ensuite, la mise à jour de ce qui fait justement l'impasse de la corrélation, l'ancestralité. Cette dernière permet de dévoiler un autre concept qui prend une part importante dans la réflexion : la facticité, dont on pourrait voir une conséquence de l'impossibilité d'une interprétation corrélationnelle de l'ancestralité. Enfin, dans la dernière partie, notre auteur s'acharne, c'est pour le moins la construction de sa thèse, à ériger les bases de sa philosophie de la nécessité de la contingence.
Pour introduire sa critique du corrélationisme le philosophe commence par revenir sur une vielle distinction scolastique entre les qualités premières et les qualités secondes. Les premières seraient des propriétés des choses en elles-mêmes, tandis que les secondes découlent des relations entre les choses et les individus. Les définitions de la sensation depuis Locke en sont un exemple criant. Ainsi, nos relations immédiates aux choses par notre faculté de sentir sont toujours un rapport aux choses (p. 14). Pour le dire autrement : il y a d’un côté ce que l’objet est en soi, pour Descartes qui se confond avec l’étendue, et de l'autre, ce que l’objet est en relation avec le sujet. C’est sur le premier aspect que se pose tout le problème de la théorie des qualités, car personne ne peut contredire que le sensible soit toujours une donation. Cependant en ce qui concerne les propriétés de l’objet en soi rien ne nous garantit son accessibilité, dans la mesure où discourir sur l’en-soi, c’est toujours un pour nous. On conclut donc à ce niveau que l’on est toujours dans la représentation (p.17). Cette omniprésence de la représentation conduit à une autre définition de la vérité qui depuis Kant consiste à abandonner un premier aspect de la relation, celle de saisir les propriétés de la chose pour le phénomène. Par conséquent la vérité ne se définit plus comme ce qui se conforme à un en-soi supposé indifférent à sa donation. Mais ce qui est susceptible d'être donné en partage à une communauté savante (p.18).
Depuis la Critique de la raison pure, il ne s’agit plus de poser la question de la substance, mais celle du corrélat. La question fondamentale de la philosophie de la connaissance autour de laquelle les philosophes peuvent être départagés devient celle-ci : quel est le juste corrélat ? Sera considéré comme corrélationisme toutes les réponses apportées à cette question, qui ne sortent pas de ce que Q.M n’appelle le « pas de danse corrélationnel ». C’est donc moins une philosophie qu’un groupe ou une famille de thèses qui prenne l’origine depuis Kant . Notre auteur le définit ainsi : « Par ‘‘corrélation’’, nous entendons l'idée suivant laquelle nous n’avons accès qu'à la corrélation de la pensée et de l'être, et jamais à l'un de ces termes pris isolément. Nous appellerons donc désormais corrélationisme tout courant de pensée qui soutiendra le caractère indépassable de la corrélation ainsi entendue. » (p.18)
Ce qui signifie que des deux termes de la relation nous ne saisissons jamais un isolément, mais toujours la relation elle-même. Pour le dire comme Kant, nous n’avons affaire qu’aux phénomènes et jamais au noumène. Ainsi, toute la philosophie moderne de la connaissance consistera à bien penser la corrélation. Meillassoux veut sortir du pas de danse corrélationnel pour aller vers le Grand dehors. Comment s’y prend-il ? C’est là qu’intervient le concept de l’ancestralité.
Toutes les doctrines corrélationistes (extrêmes ou modérées) partagent le même postulat : l’inaccessibilité de la chose en soi, car nous sommes toujours dans le registre de la représentation. Cela implique que, pour réfuter toutes les formes de corrélationisme, il suffit de montrer, d’une part, qu’il existe bien un dehors de la pensée, et, d’autre part, que ce dehors est susceptible d’être appréhendé objectivement sans se réduire à un objet pour nous. En ce sens, il s’agit aussi de revenir sur la théorie des qualités en affirmant la possibilité d’atteindre les propriétés des choses en elles-mêmes, comme l’écrit si bien le philosophe :
(…) il faudrait dire qu'il n'y a pas de sens à soutenir que les qualités inhérentes à la présence d'un vivant, [les] qualités secondes étaient présentes au moment de l'accrétion de la Terre. [Elles] représentent les modes de relation d'un vivant à son environnement, et ne peuvent être pertinentes pour décrire un événement antérieur à toute forme de vie recensée, et même incompatible avec l'existence d'un vivant. En revanche, on soutiendra que les énoncés portant sur l'accrétion qui sont formulable en termes mathématiques désignent quant à eux des propriétés effectives de l'événement en question (sa date, sa durée, son extension), alors même qu'aucun observateur n'était présent pour en faire l'expérience directe. (p.28)
Il est donc évident, grâce aux progrès des sciences expérimentales, que nous sommes capables aujourd’hui de saisir une réalité qui remonte avant notre existence. Par les techniques de datation, nous sommes en mesure de décrire une réalité qui n’est pas tributaire de notre présence, dans la mesure où cette dernière est antérieure à notre apparition comme espèce et donc à la conscience. C’est ce que le philosophe français nomme « ancestralité », toute réalité antérieure à l’apparition de l’espèce humaine (p. 26). Les objets qui nous permettent de telles datations sont des archifossiles, ils attestent de l’existence d’un événement ancestral. Ainsi, ils constituent une réfutation a priori du corrélationisme en interrogeant ce mode d’être-enrelation. Ainsi Q. M. se demande quelle signification les événements ancestraux, comme l’accrétion de la terre, ont pour le corrélationisme, autorisent-ils ce saut hors de la représentation ?
En réalité, notre auteur admet que l’ancestralité pose un problème au corrélationisme – pourtant, il n’en causerait pas au cartésianisme pour qui les qualités premières sont accessibles à partir des mathématiques (p. 27-29 ) – dans un cas de figure et non dans l’autre. Le premier concerne la thèse même des corrélationistes, à savoir que nous ne pouvons rien connaître en dehors de la corrélation, qui se trouve invalidée par la découverte des événements ancestraux. Le second consiste en l’hypostase de la corrélation, qui échappe à l’ancestral.
En outre, le corrélationiste soutient que nous ne pouvons pas sortir de la corrélation pour accéder à l’absolu, car toute tentative de le faire présuppose déjà une forme de pensée ou de représentation. Ainsi, reconnait-il que les énoncés ancestraux posent un problème à sa thèse, mais il essaie de le résoudre en distinguant deux niveaux de signification : le sens réel, qui est corrélatif, et le sens apparent, qui est fictif ou hypothétique, en admettant que les énoncés ancestraux ont un sens apparent qui semble indiquer une réalité antérieure à la pensée, mais il nie qu’il y ait un sens réel qui corresponde à cette réalité (p. 33-34). Il finit par considérer donc les énoncés ancestraux comme des fictions régulatrices ou des hypothèses heuristiques, qui n’ont pas de valeur ontologique, mais seulement épistémologique ou pragmatique. Et se refuse ainsi à reconnaître l’existence d’un réel en soi, indépendant de la pensée, et à admettre la possibilité d’une intuition intellectuelle de cet absolu.
Or, l’impasse d’interprétation de l’ancestralité par le corrélationiste ne diminue en rien son sens profond. L’ancestralité nous enjoint à revoir une thèse posée comme évident depuis Kant, dans la mesure où elle suppose un monde sans relation être-pensée (p. 39). Ce qui signifie : dire comment la pensée peut accéder à l’absolu en s’effaçant devant la radicalité du dehors, qui n’a plus besoin de la représentation.
Devant un tel problème de légitimité des énoncés ancestraux (p. 36-40), une pensée de l’absolu s’impose dont le but serait de saisir l’absolu, sans pour autant remonter à une situation précritique. Ainsi, donner leur sens aux énoncés ancestraux consisterait à découvrir une nécessité absolue qui ne soit pas absolument nécessaire, une nécessité de la contingence, spéculative en ce qu’elle vise l’absolu, mais non métaphysique, non dogmatique, parce qu’elle fera fi du principe de raison (47). Quel serait le sens de cette pensée de l’absolu ? Comment y parvenir ?
Avant de revenir sur sa conception de l’absolu comme spéculatif, l’auteur de Métaphysique et fiction des mondes hors-science essaye de montrer les conséquences du corrélationisme sur l’idée de l’absolu. En effet, depuis Kant, la pensée de l’absolu est frappée d’une interdiction en ce qu’elle renvoie à un univers métaphysique dont la Critique a définitivement entériné . En mettant en avant l’ancestralité, Q. M. rompt avec toute une philosophie moderne qui fait de l’être le corrélat, en tentant d’accéder au non-corrélé. Ainsi l’ancestralité conduit à une pensée de l’absolu.
Descartes, par l’argument ontologique, parvient à accéder au Grand dehors, l’idée est que si Dieu est parfait, il ne saurait manquer l’existence. Ce Dieu étant parfait ne saurait manquer de me tromper, il est donc le garant de mes jugements. L’activité du cogito me permet d’affirmer qu’il existe des corps qui ne sont pas moi dont la propriété est l’étendue, dont Dieu garantit la véracité. Q. M. cherche à produire dans les formes un argument de la même sorte, qui permet de passer d’un absolu (un Dieu parfait, pour Descartes) à un absolu dérivé, en reconnaissant que la perfection de Dieu fait qu’il ne saurait me tromper. Pour le dire en plus simple, un Dieu parfait qui garantit la vérité des mathématiques pour accéder au-dehors. Toutefois, avant de préciser son argument, il montre comment le corrélationiste réfute l’argument ontologique.
Deux réfutations sont envisageables de l’argument de Descartes : celui du corrélationisme faible qui renvoi l’argument ontologique au cercle corrélationnel de l’impossibilité d’accession à l’absolu, parce qu’il est déjà et toujours un absolu pour nous . C’est la prétention à l’absolu qui est ainsi combattu par la réfutation kantienne de l’argument ontologique, ce qui veut dire qu’il faut définitivement renoncer à l’absolu et ainsi en finir avec la métaphysique dogmatique, telle la preuve ontologique, consistant à poser un étant nécessaire par excellence. C’est également en finir avec le principe de raison qui postule qu’il y a une raison nécessaire à toute chose. Or, notre auteur veut renouer avec l’absolu sans devenir dogmatique , il devra donc abandonner le principe de raison sans renoncer à l’absolu, d’où sa thèse de la nécessité de la contingence. Comme il l’écrit :
(…) il est possible d'envisager une pensée absolutoire qui ne serait pas absolutiste. La question de l’ancestralité se retrouve ainsi essentiellement liée à la critique de ce qu'on peut appeler l’ « implication désabsolutoire », et qui se dit : « Si la métaphysique est périmée, l'absolu l'est aussi bien.» Seule la réfutation d'une telle inférence concluant de la fin de la métaphysique dogmatique à la fin des absolus peut nous permettre d'espérer dénouer le paradoxe de l'archifossile.
Quant au corrélationisme fort, il est une forme radicale de corrélationisme, qui refuse toute hypostase de la corrélation, et qui limite toute connaissance à l’horizon corrélationnel, sans admettre de réalité extérieure ou antérieure à la donation. Le corrélationisme fort se fonde sur la facticité des formes corrélationnelles (p. 53), c’est-à-dire sur l’absence de toute nécessité inconditionnée pour les formes a priori de la pensée (logique, sensibilité, etc.). « Le modèle fort se résume donc à la thèse suivante : il est impensable que l’impensable soit impossible (...) La facticité a alors une conséquence précise et remarquable : c'est qu'il devient rationnellement illégitime de disqualifier un discours non rationnel sur l'absolu sous prétexte de son irrationalité. »
C’est pourquoi Q. M. croit que les limites du corrélationisme, c’est qu’il conduit à un fidéisme essentiel , c’est-à-dire à une justification de la croyance religieuse en général, et qui empêche de penser le sens des énoncés scientifiques portant sur une réalité antérieure à l’apparition de l’homme, comme le problème de l’ancestralité.
La fin de la métaphysique conçue comme « désabsolutisassions de la pensée » consiste ainsi en la légitimation par la raison de n'importe quelle croyance religieuse (ou « poético-religieuse ») en l'absolu, dès lors que celle-ci ne se revendique que d'elle-même. Pour le dire autrement : la fin de la métaphysique, en chassant la raison de toutes ses prétentions à l'absolu, a pris la forme d'un retour exacerbé du religieux. (p. 62 voir aussi 111)
Après avoir exposé sa critique du corrélationisme par l’entremise de l’ancestralité, Q. M. peut exposer sa thèse principale, selon laquelle la pensée peut accéder à un absolu qui n’est pas métaphysique, mais factuel, c’est-à-dire fondé sur la contingence radicale de tout ce qui est. « Mais, dès lors, la piste qu'il nous faut suivre est toute tracée : si un absolu est encore pensable, qui échappera au ravage du cercle corrélationnel, ce ne pourra être que celui qui procédera de l'absolutisation de la seconde décision du modèle fort - c'est-à-dire de la facticité. » p. 71.
Q. M. affirme que nous ne pouvons connaître que le rapport entre notre pensée et l’être, et non l’être en soi, indépendant de notre rapport. Il montre que le corrélationisme conduit à un scepticisme qui empêche de penser l’absolu et de distinguer la pensée de la croyance. Il propose de sortir du corrélationisme en affirmant que la facticité, c’est-à-dire le caractère sans raison d’être de toute chose, est elle-même absolue et non factuelle. Il appelle cela le principe de factualité, qui implique que tout ce qui est peut réellement devenir autre sans raison : « Nous devons saisir en la facticité non l'inaccessibilité de l'absolu, mais le dévoilement de l'en-soi : la propriété éternelle de ce qui est, et non la marque de la défectuosité pérenne de la pensée de ce qui est.» Notre auteur dérive de ce principe deux conséquences : la non-contradiction et la nécessité d’un « il y a ». (p. 109) Il montre que ces deux conditions permettent de penser l’en soi comme un chaos, c’est-à-dire un être sans loi ni nécessité, mais non sans figures, c’est-à-dire des propriétés non quelconques. Ainsi, le principe de factualité ouvre un espace spéculatif qui permet de retrouver la portée absolutoire de la pensée, et de résoudre le problème de l’ancestralité, qui consiste à penser la réalité antérieure à l’apparition de la vie et de la pensée.
Ainsi la thèse de la nécessité de la contingence conduit au problème philosophique posé par Hume sur la nécessité des lois de la nature qui garantirait la pérennité de toute chose et de la vérité. Or, le principe de factualité a pour conséquence justement la contingence des lois de la nature (p. 113), c’est pourquoi il propose une solution spéculative qui affirme la contingence radicale de ces lois . Pour justifier cette position de la contingence des lois naturelle, Q. M. veut donner une solution spéculative au problème de Hume. En quoi consiste ce dernier ? Le problème de Hume consiste à se demander si on peut démontrer que les mêmes causes produiront toujours les mêmes effets dans des circonstances identiques (principe de causalité ou « d’uniformité de la nature », ou si les lois de la nature peuvent changer sans raison (p. 115). À la question de Hume que finalement Q. M. formule ainsi : « peut-on démontrer que la science expérimentale sera possible demain comme elle l'est aujourd'hui ? » (p.118) Trois réponses peuvent être envisagées.
D’abord, les réponses classiques à ce problème : la réponse métaphysique, qui invoque un principe absolu (comme Dieu) pour garantir la nécessité des lois ; ensuite, la réponse sceptique (celle que Hume apporte à sa propre question), qui admet l’impossibilité de démontrer la nécessité des lois et la réduit à une habitude fondée sur l’expérience ;
(…) lorsqu'un fait se répète, il provoque en nous, de façon spontanée, un sentiment d'accoutumance dont procède la certitude qu'il en ira de même ainsi à l'avenir. C'est une telle propension à croire en la répétition à l'identique de ce qui s'est déjà répété qui gouverne l'ensemble de notre rapport à la nature. (p. 120-121)
Et enfin, la réponse transcendantale, qui déduit la nécessité des lois comme une condition de possibilité de la connaissance et de la conscience en montrant qu’elles présupposent toute la vérité de la nécessité causale, et qu’elles se heurtent à des difficultés logiques ou empiriques .
Toutes ces réponses n’ont jamais mis en cause la nécessité causale. C’est ce que tente la réponse spéculative, qui consiste à prendre au sérieux la possibilité que les lois soient effectivement contingentes, et à expliquer leur stabilité apparente par le recours à la théorie mathématique des ensembles et à la notion de transfini pour répondre à la question de Hume après sa reformulation, la question n’est plus de savoir « comment démontrer la nécessité supposée véridique des lois physiques, [mais] de demander comment expliquer la stabilité manifeste des lois physique si celles-ci sont supposées contingentes. » p. 125. La réponse spéculative permet de lever les apories du problème de Hume, de réhabiliter la question métaphysique de la raison d’être des choses, et de préparer la résolution du problème de l’ancestralité, qui concerne le rapport entre la pensée et le réel indépendant de la pensée. Ce processus absolutoire doit se passer de métaphysique et de fidéisme.
Quentin Meillassoux, critique la philosophie contemporaine qui se contente d’un corrélationisme ptolémaïque, c’est-à-dire qui réduit la connaissance à la relation entre le sujet et le monde, sans accéder à l’absolu. Il oppose à cette attitude le copernicanisme de la science, qui nous révèle un monde antérieur et indifférent à l’humanité, et qui nous pose le défi de penser l’absolu et propose de relancer la spéculation philosophique en partant du principe de factualité, qui affirme que les lois de la nature sont contingentes et non nécessaires, et qu’elles peuvent changer sans raison.
La science ne peut pas prouver l’existence des lois de la nature, mais seulement les observer et les mesurer. Ainsi notre auteur soutient que la science doit donc accepter le principe de factualité, c’est-à-dire que tout ce qui est, est sans raison d’être, et que tout ce qui n’est pas, pourrait être sans raison de ne pas être. Meillassoux appelle cette pensée de l’absolu le réalisme spéculatif, car il s’agit de spéculer sur ce qui est indépendamment de toute relation avec un sujet humain ou divin. Ainsi, écrit-il :
La résolution du premier problème a pour condition une résolution spéculative du problème général- sans quoi la science perd son sens intrinsèquement copernicien -, la résolution du second problème exige une résolution non-métaphysique du problème général- sans quoi la science se perd dans les mystères de la nécessité réelle. L'un comme l'autre exigent donc une résolution factuale du problème, pour autant que le factual se définit comme l'espace même d'une spéculation exclusive de toute métaphysique. (p. 177)
Cette pensée de la contingence radicale nous permet de penser l’événement, c’est-à-dire ce qui arrive sans être prévisible ni calculable, et qui met fin au jeu du hasard et du déterminisme. Il conclut que la philosophie doit se réveiller de son sommeil corrélationnel et réconcilier la pensée et l’absolu, en s’inspirant de la révolution mathématique du transfini.
1. « Préface », p. 11.
2. « Toute la difficulté est qu'un tel retour nous paraît précisément impossible : nous ne pouvons plus être métaphysiciens, nous ne pouvons plus être dogmatiques. Nous ne pouvons, sur ce point, qu'être des héritiers du kantisme. » p. 40.
3. L’ouvrage est réparti en cinq chapitres, toutefois notre proposition de fragmentation obéit plus à un ordre logique de développement conceptuel qu’une simple copie de la structure linéaire. Une telle façon de procéder permet de livrer au lecteur, brièvement, l’essentiel du propos de l’auteur, et pourquoi pas, l’inciter à une lecture plus approfondie.
4. Sur ce débat entre les héritiers de Kant (le conflit des interprétations) sur la place de la chose en soi pour la prospérité du criticisme, on renvoie à l’excellent travail de Alain Renaut, Kant aujourd’hui, Paris, Flammarion, 1999, pp. 21‑39 (Champs 436).
5. « Les énoncés ancestraux sont donc, dans la perspective cartésienne, des énoncés dont les référents peuvent être posés comme réels (quoique passés) dès lors qu'ils sont tenus pour validés par la science expérimentale, à un moment donné de son développement. »
6. « Il nous faut donc renouer avec l'exigence d'une connaissance de l'absolu, et rompre avec le transcendantal qui en interdit la possibilité. » p. 39.
7. De type Kantien, il est faible parce que tout en reconnaissant que la prégnance de la représentation, il garde la chose en soi comme ce que l’on peut penser.
8. « (...)par le seul fait qu'une nécessité absolue est toujours une nécessité absolue pour nous, une nécessité n'est jamais absolue, mais seulement pour nous. » p. 42.
9. « Nous n'entendons pas remettre en cause, en ce sens, la péremption contemporaine de la métaphysique. Car un tel dogmatisme, qui prétend que ce Dieu, puis ce monde, puis cette Histoire, et pour finir ce régime politique actuellement effectif doit nécessairement être, et être tel qu'il est, un tel absolutisme semble bien relever d'une époque de la pensée à laquelle il n'est ni possible ni souhaitable de revenir. » p. 46-47.
10. « En d'autres ternes, désabsolutiser la pensée revient à produire un argumentaire fidéiste, mais d'un fidéisme ‘essentiel’, et non pas simplement ‘‘historique’’: c'est-à-dire devenu le soutien par la pensée non d'une religion déterminée (comme ce fut le cas, au XVIe siècle, pour le fidéisme catholique, ou du moins se voulant tel) mais du religieux en général. » p. 63.
11. « (…) cet énoncé de la contingence réelle des lois physiques, nous le soutenons très sérieusement. » p. 114.
12. « La nécessité causale est donc une condition nécessaire de l'existence de la conscience et du monde dont elle fait l'expérience. Autrement dit : il n'est pas absolument nécessaire que la causalité régisse toute chose, mais si la conscience existe, ce ne peut être que parce qu'une causalité régit nécessairement le phénomène. » p. 122.
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