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La quête de l'autre

inedits

Une nuit, je m’assoirai sur un trottoir, pointant du doigt ce que les âges recèlent pour mieux subir la vie. Face au ciel, le visage désarmé des soucis du quotidien, je me laisserai envahir par un spectacle délicat. Comme observer des étoiles en anneaux, se détacher de cette couche laiteuse, filer, pour renaître sur les lèvres de chérubins. Les voyez-vous devant la grande bâtisse des Saints en guerre contre la faim ? Dans ma jeunesse, j’ai gardé en souvenir cette communion de pauvre, ces enfants pieds nus, une lisière de morve collé sur leurs haillons faisant paraître leurs ossements se distinguaient fortement du décor de l'église Saint-Pierre. Meublés de tableaux dorés, tous racontent une seule histoire, le sacrifice d’un homme pieu. Quand l’ennui me congédiait du catéchisme, et de l’histoire de ce démiurge, je me glissais sous les travées de l’église. À l’écart, j’épiais leurs chapeaux de paille, leurs sachets plastiques et quelques paumes de mains, qu’ils tendaient aux passants. Ils mendiaient tous à la hauteur de leurs espérances. .

Je me souviens encore de tes prunelles, deux points noirs glissant légèrement dans tes larmes. Jeune enfant dansant la misère du monde, galvaudant devant Saint Pierre. Tu chantais les psalmistes de David, sans connaître les lettres qui formaient ces phrases, elles-mêmes berçant ton enfance. L’éternel est mon berger, disais-tu, en souriant, sa maison était vide, mais toi tu t’endormais devant. Jamais tu ne mis les pieds sur l’autel, mais ta foi était tellement grande que je renonçais à croire au divin. Tes yeux furent cette paume, ils se tendaient à hauteur de mon cœur, ils quémandaient avidement l’amitié. Je déposais toute ma fortune dans le chapeau de ce vieil homme, celui avec qui tu partageais ton pain. Ces Cinq pièces dorées justifiaient ma présence par-devant tes paires, tous les dimanches à la même heure. Un jour, curieuse, tu trainais dans mes talons jusqu’à la porte du presbytère. Dès lors, nous sommes devenus amis. .

De ces rencontres que le temps ne comptait plus, tant fut léger ton sourire qui ponctuait nos heures perdues. Deux bambins, qui se placaient sur l'échiquier de la vie sans en apprendre préalablement les règles. J'étais le fils de l’un de ces étrangers venus de loin, ne voulant plus partir ayant fait fortune sur ta terre. Tu étais l’un de ces enfants-adultes que Port-au-Prince ne connaissait pas de nom, attendant d’être jugés... Je te connaissais, le souffle fiévreux, odeur citronelle, les yeux teintés d’un trait de cannelle, les tresses couleurs café entouraient ton visage gai, tes membres entaillés révélaient l’envers d’une jeune âme attristée. .

Je songe à ce long voyage sur la route de l’oubli. Je grandissais à l’écoute de tes contes diurnes, tu me les racontais après l’eucharistie. L’histoire de ses femmes colorées sur le grand boulevard. Sous leurs propos scabreux le vieux prêtre t’emmenait à la tombée de la nuit. Parfois, l’histoire allait de l'écho de ta voix à ton corps morne, tes gestes ponctuaient tes couplets. Tes yeux se perdaient dans l’ombre, accusant les traits de chacun de tes personnages. Le plus fidèle fut ce vieux prêtre, le premier homme que j’ai haï par jalousie. Il donnait cent pièces au vieil homme, disais-tu, pour prendre soin de toi, mais ce tuteur tuait ton innocence, seul son grog (l’alcool) l’intéressait vraiment.

À cette époque, la plupart des vieillards avaient à leurs comptes, des âmes fragiles, des gagne-pains. Elles n'étaient donc qu'une arme contre la faim. Port-au-Prince offrait le tableau d'ignoble existence, la déchéance d’hommes, de femmes et d’enfants livrés à une éternelle misère. Je n’ai pas eu à ressentir de piqûre à l’estomac pendant l’enfance, ni ce grognement monstrueux qui brisait nos silences incompris. Mon père disait que celle-ci semblait pire que ce qu’il ressentait pendant son long voyage tumultueux du Liban qui le ramena sur la sainte terre des étrangers. Quand ma mère priait pour ces âmes damnées, mes pensées congédiaient tes sorts. Je rêvais de nous, enlacés sous un cèdre, racontant cette ville au passé.

Quand les ans surprirent la pureté de notre alliance, vinrent les défauts de la vie. Les voiles tombèrent, tes paires te rappelèrent ta condition et tu ne vins plus derrière le presbytère pour me narrer les évangiles de la grande rue.

Tard dans la nuit, pour le nouvel an, je suis enfin sorti de tes pages, j’allais admirer de mes yeux tes nuits à Pétion-ville, le défilé de ces femmes colorées à l’arrière de l’Église. Je fis alors la rencontre de Monique. Pour la première fois, une femme autre que toi, lut ton départ en moi. La marâtre essuyait mes joues, puis venait l’heure où la lune illuminait son visage habitué à la concupiscence. D’un déplacement pudibond, elle m’invitait à danser dans ce brasier qu’engendraient ses reins. Mais, il me parvenait le son agressif de tes pas, défaisait l’envie d’écouter d'autres voix. Pour cinq cents gourdes, elle m’écoutait, toute la nuit conter les voies que tu avais pu prendre dans ta fuite; jusqu’à apercevoir les rayons bigarrés enjôlés le ciel à présent découvert. À ce jour, dans la poche de ma mémoire, tes histoires attendent d’être contées. .

Un jour, je m’assoirai sur un trottoir, le cœur fragile. L’heure dira que nous étions deux pantins, dansant nos maux. Je feindrai de détester ce que je n’ai pas pris le temps d’accepter, ton départ, la décadence de ce monde, les caprices de l’humain et le goût de rester ici malgré moi. À ces dernières heures de vivre, je suspends mes jours heureux à ton visage et à nos désillusions..

Je t’éditerai dans le cœur de toute une génération. Pour qu’un jour, se lise notre histoire sur la bouche des petits chérubins. Les voyez-vous devant la grande bâtisse des Saints, ces enfants en guerre contre la faim.

Quand je serai meurtri par le mal de toi, j’espère que notre amitié insufflera à d’autres le goût d’aimer.

Nouvelle écrite :

Par Liz Naïka Sajuste, Étudiante en 3ème année d’Anthropologie-Sociologie à la Faculté d’Ethnologie de l’Université d’État d’Haïti

Paru le 27/12/2023

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